Bob Dylan, est sans doute l’un des plus grands artistes du 20e siècle. Auteur-compositeur-interprète, musicien, peintre, poète, il sait tout faire et est une des figures majeures de l’histoire de la musique pop. Sa musique a inspiré et continue d’inspirer des générations d’artistes (David Bowie, Neil Young, Paul Simon, Jeff Buckley) et il a su s’insérer dans la vie des gens en abordant très souvent des thèmes sociaux, en leur parlant directement, en faisant en sorte de proposer des titres qui n’étaient pas que des chansons destinées aux radios, mais de véritables descriptions de leurs quotidiens.
Avec la mode du BlackLivesMatters, l’activisme pour la cause noire est presque devenu un jeu. Il permet de faire connaitre ce combat à la nouvelle génération, mais très clairement, il y a un effet de mode et les impacts ne sont plus du tout les mêmes. On a vu aussi que très peu d’artistes blancs touchent à ce sujet. P!nk, Bono et quelques autres ont porté le message, mais Justin Timberlake, Miley Cyrus et plusieurs autres se sont gardés d’y toucher pour ne pas fâcher leurs audiences.
C’est là que le cas Bob Dylan est intéressant, car comme on le dit souvent, ce qui est actuellement médiatisé aux USA n’est pas du tout nouveau. La seule chose qui est nouvelle, ce sont les smartphones qui ont d’une certaine manière forcés les artistes (y compris les artistes noirs) à prendre parti pour leur propre cause, et les moins favorisés de leur communauté… mais ce sont de vieux combats. Ce sont des combats et des histoires qui étaient déjà là en 1995, en 2000, en 2005 et qui surtout étaient encore plus tabous et plus violents au début des 60’s quand Bob Dylan commence sa carrière.
Bob Dylan.
De son vrai nom Robert Allen Zimmerman, naît le 24 mai 1941 dans le Minnesota. A 10 ans, il aménage avec ses parents à Chicago, une ville qui le nourrira musicalement. C’est là qu’il devient fan de blues en faisant la connaissance du bluesman, Big Joe WillIAMs, qui lui offrira une vieille guitare dont il fait rimer les accords avec son harmonica. Il s’installe ensuite à New-York pour des études littéraires et il y rencontre une de ses idoles Woody Guthrie avant d’enregistrer quelques morceaux avec la chanteuse, Carolyn Hester. C’est à partir de ce moment qu’il décide de se lancer dans la musique et mélange folk et blues sur son tout premier disque éponyme qui sort en 1961. Composé de reprises folk et blues, il contient également deux titres originaux : Talkin’ New York et Song to Woody. Ce premier album, confiné au cénacle folk, est un échec commercial mais il ne perd pas son contrat. L’Amérique est en ébullition. Le mouvement pour les droits civiques, Martin Luther King à sa tête, réclame la fin de la ségrégation. Il se met alors à travailler pour un magazine totalement engagé, Broadside Magazine où il apparaît sous le pseudonyme de Blind Boy Grunt. Il s’immerge alors dans la dimension sociale de son époque et commence à concevoir ce que le monde appellera plus tard les “Protest Songs”.
Comme le nom l’indique, ce sont des titres revendicateurs, qui pointent les différentes failles et injustices de la société. Dylan n’a pas peur de dire ce qu’il pense et devient la voix d’une génération excédée par le racisme et le conservatisme. Le second album de Bob sera alors un véritable manifeste.
Les protests songs.
Il commence avec “Oxford Town”, inspiré par un fait divers dans le Mississippi. Des étudiants blancs avaient empêché un jeune noir, James Meredith, de s’inscrire à l’université. L’altercation avait dégénéré en émeute et fait deux morts… et le thème du titre qui est tout d’abord publié avec le magazine Broadside Magazine.
Il y dénonce les agissements, exprime un certain dégoût… et signale bien qu’il ne retournera plus dans cette ville.
L’écho se fait et il continue avec “Only Pawn In The Game” ( rien qu’un pion dans leur jeu) . Cette fois, c’est le meurtre de Medgar Evers, leader noir du Missouri, qui est un choc pour le pays tout en entier. Le chanteur prend alors le parti de fustiger un racisme étatique dans le sud des Etats-unis, où la logique était de diviser la communauté afro-américaine pour mieux régner.
“Une balle tirée d’un buisson répandit le sang de Medgar Evers.
Un doigt appuya sur la gâchette à son nom.
Un poing caché dans l’obscurité
Une main arma le fusil
Deux yeux le prirent comme objectif
Guidés par le cerveau d’un homme
Mais on ne peut pas lui reprocher
Il n’est rien qu’un pion dans leur jeu.Un politicien du sud a dit au pauvre blanc,
“On t’a donné plus qu’aux noirs, te plains pas.
Tu es meilleur qu’eux, tu es né avec la peau blanche”, on t’apprend.
Et le nom du noir
Est employé c’est clair
Au profit du politicien
Pour accroître sa renommée
Et le pauvre blanc est laissé
A la queue du train
Mais on ne peut pas lui reprocher
Il n’est rien qu’un pion dans leur jeu.”
Le titre confirme le succès de l’artiste qui enchaine alors avec un de ses plus grands titres, la chanson “Blowing In The Wind” qui est un des titres les plus repris de tous les temps. C’est ce titre qui le fera vraiment connaitre auprès du grand public . Dylan sera ainsi présent en août 1963 lors de la marche de Washington, où Martin Luther King prononce son célèbre discours I have a dream. A la tribune, le jeune chanteur interprète Blowin’ in the wind, la chanson qui l’a fait connaître au grand public.
“Combien de routes un homme doit-il parcourir
Avant que vous ne l’appeliez un homme?
Oui, et combien de mers la blanche colombe doit-elle traverser
Avant de s’endormir sur le sable?
Oui, et combien de fois doivent tonner les canons
Avant d’être interdits pour toujours?
La réponse, mon ami, est soufflée dans le vent,
La réponse est soufflée dans le vent.”
Une chanson qui prône la liberté et l’espoir qui trouvera un énorme écho.
Il est assez rapidement étiqueté “chanteur contestataire” et l’album “The FreeWheelin Bob Dylan” est certifié disque de platine. C’est le début d’une longue carrière, mais surtout d’un homme qui va se servir de son succès comme porte-voix pour des revendications sociales. L’année suivante, il s’en prend à l’institution judiciaire lorsque le meurtrier d’une serveuse noire, William Zanzinger, est condamné à seulement six mois de prison. Il compose la chanson The lonesome death of Hattie Carroll, dans laquelle il dénonce la clémence des jurys quand les coupables sont blancs.
Il continue la dénonciation sur Subterranean Homesick Blues où il s’inspire d’un titre de Chuck Berry avec la chanson “Too Much Monkey Business”. La chanson fait également référence aux luttes qui minaient le Mouvement des droits civiques aux États-Unis (“Better stay away from those / That carry around a fire hose“). (Durant le Mouvement des droits civiques aux États-Unis, des manifestants pacifiques furent molestés et violemment repoussés à coup de jets d’eau à haute pression). Malgré la tonalité politiquement engagée des paroles, le titre fut le premier de Dylan à atteindre la première place du Top 40 aux États-Unis.
L’Amérique puritaine se met à ce moment là à lui reprocher son engagement et il se sent trahi par plusieurs membres de son mouvement… Petit à petit, on le voit moins porter haut des revendications pour la cause noire avant l’année 1971. En effet, c’est un énorme coup pour la lutte civique des afro-américains alors que lorsque George Jackson, un membre du Black Panther Party, est abattu dans une prison de Californie, Dylan écrit immédiatement une chanson pour lui rendre hommage. Le morceau sort sous la forme d’un single et à la surprise générale, c’est un tube qui sera repris dans le monde entier. Une 33e place aux USA…
Le texte était poignant traduisant son admiration pour l’homme… mais il y critique aussi ouvertement le système avec l’utilisation du “Ils” et c’est encore très mal vu à ce moment-là.
En 1975, il fâche toute une partie de l’opinion publique juste après son plus gros succès avec l’album “Blood on the Tracks”… et propose “Hurricane” qui est une de ses chansons les plus connues en France.
Le chanteur prend parti pour le boxeur Rubin Carter, emprisonné pour un triple meurtre. Dylan est convaincu de son innocence et estime qu’il a été condamné par un jury raciste….et balance une chanson accusatrice de 8 minutes où il accuse et dénonce. A ce moment-là, Carter a déjà passé plusieurs années en Prison, mais l’affaire prend un nouveau tournant avec la sortie du single de Dylan. Certains des jurés accusés directement portent plainte contre lui, mais ça permet de remettre l’affaire en lumière et de sauver le boxeur. En effet, Rubin sera d’abord condamné avant d’être finalement libéré en 1985… puis de bénéficier d’un non-lieu en 1988. Là encore, Bob avait choisir le bon combat.
SI l’on devait juste prendre le texte, il dit :
“Des coups de feu résonnent dans la nuit du bar
Arrive Patty Valentine de l’étage au-dessus.
Elle voit le barman dans une mare de sang,
s’écrie ” Mon Dieu, ils ont tué tout le monde ! “
Voici l’histoire de Hurricane,
L’homme que ceux qui nous gouvernent ont accusé
Pour une chose qu’il n’a jamais faite.
Mis entre quatre murs, alors qu’il aurait pu
Etre le champion du monde.
Trois corps gisants c’est ce que Patty voit
Et un homme du nom de Bello, qui bouge ça et là bizarrement.
” J’y suis pour rien ” dit-il en levant les mains
” Je volais la caisse seulement, j’espère que tu comprends.
Je les ai vu partir “, dit-il, puis s’arrête
” Un de nous ferait mieux d’appeler les flics “.
Alors Patty appelle les flics
Et ils arrivent sur les lieux, leurs feux rouges lançant des éclairs
Dans la nuit chaude du New Jersey.
Pendant ce temps-là, très loin dans un autre coin de la ville
Rubin Carter et ses amis font un tour en voiture.
Le prétendant numéro un à la couronne des poids moyens
N’avait pas la moindre idée de la merde dans laquelle il allait bientôt se fourrer
Quand un flic le fit se ranger sur le côté de la route
Comme la fois d’avant et la fois encore avant.
A Paterson c’est comme ça que ça se passe.
Si t’es noir tu ferais mieux de pas te montrer dans la rue
A moins que tu veuilles attirer la flicaille.”
De manière directe, il accuse le système et prend bien la peine de prêcher la vraie histoire au grand public. Le fait qu’un titre du genre (qui dure 8 minutes) ait été classé dans le top 50 dans l’histoire de la musique américaine et surtout à ce moment-là est légendaire, car c’est pas une chanson. C’est un plaidoyer direct conçu pour retourner l’avis de l’opinion publique et comme on l’explique plus haut, c’est ce qui se passe.
Le Griot Moderne.
A la fin des années 70’s, Bob Dylan devient témoin de Jehovah et publie plusieurs albums chrétiens. Il connait par la suite une chute de popularité, même si son oeuvre est à ce moment-là désormais iconique et reprise par des centaines d’autres artistes. C’est un homme admirable qui s’est battu pour ce en quoi il croit au péril de sa propre carrière. C’était juste un petit artiste blanc qui faisait de la folk. Il aurait pu se contenter de faire des chansons d’amour de parler de soucis qui le touchaient directement, mais il a choisi de prendre les choses autrement. Beaucoup d’artistes noirs n’ont jamais eu et n’ont toujours pas son courage. Quand on prend un texte de Bob Dylan, on est par exemple loin d’un “Formation” de Beyonce qui dit tout et rien à la fois ou de plusieurs chansons pseudo-engagées qui sont proposées actuellement pour surfer sur la mode. Sa plume est d’une intelligence rare, il a cette manière de conter les faits, de parler d’histoires profondément injustes en s’impliquant, en impliquant l’auditeur, mettant chaque détail dans les chansons, ce qui lui a aussi permis de jouer aussi un véritable rôle dans le changement de l’opinion sur le système américain. Il y a un vrai engagement et une vraie conscience chez lui dans des temps où c’était compliqué de s’assumer tel quel. Et cet aspect de lui, cet aspect de sa personalité ne fait qu’enrichir et grandir une oeuvre déjà très complète.
Il a remis en cause certaines conceptions du rôle des artistes dans la société…. et mérite toutes les nombreuses récompenses qu’il a reçu : 11 Grammys Awards, 1 Golden Globe, reçu aux Rock and Roll Hall of Fame, Nashville Songwriters Hall of Fame, et aux Songwriters Hall of Fame. En 2012, Barack Obama lui attribue la médaille de l’honneur et de la liberté comme pour couronner toute cette passion qui l’a habité et l’influence réelle qu’il a eu sur la société américaine, non seulement via sa musique, mais aussi dans les problèmes sociaux et raciaux quotidiens. Legend!