A l’occasion de la sortie de son nouvel album ” Libra”, Musicfeelings a rencontré Matt Houston pour un entretien sur ce nouvel album, sa carrière, la scène R&B française, le rap en France, ses gouts musicaux,  mais aussi les différents choix qu’il a fait au cours de sa carrière.

Musicfeelings : Bonjour Matt, félicitations pour la sortie de ton nouvel album ” Libra”.  On va commencer par une question très simple, pourquoi avoir choisi le titre “Libra”?

Matt Houston : Merci, parce que je suis du signe de la balance, parce que ça sort le jour de mon anniversaire et je trouvais que ça sonnait vraiment bien. Et moi j’entends le mot “libre” dedans un peu comme l’indépendance et ça m’a plu.

Musicfeelings : Justement, pourquoi avoir choisi de sortir l’opus un Mercredi alors qu’ils sortent maintenant le samedi, ce n’était pas un peu “risqué”?

Matt Houston : C’est mon cadeau d’anniversaire. Je n’ai vraiment pas pensé à ce genre de risques. Je suis né le 30 Septembre, j’ai voulu le sortir un 30 septembre comme cadeau à moi-même, mais aussi à mes fans et aux plus anciens qui me suivent sur ce genre de musique-là depuis un moment. J’ai essayé de me focaliser sur la symbolique, juste ça.

Musicfeelings : Comment s’est passé l’enregistrement du premier single “Porte mon Gosse”, comment as tu réussi à réunir autant de chanteurs? comment ça s’est concrétisé?

M.H. : c’était long, ça a pris un an et demi. Une bonne année ou une bonne année et demi, mais ça s’est fait simplement.  J’ai passé des coups de fils. Il y a ceux qui ont dit “oui”, il y a ceux qui ont dit “non”, pour différentes raisons. J’ai apellé Willy, tous mes proches déjà, ceux avec qui j’avais des liens et ensuite pour ceux que je voulais et avec qui j’avais moins d’affinités, ça a pris un peu plus de temps. La plupart du temps, on a enregistré chez moi dans mon studio et certains ont aussi enregistré chez eux dans leur propre studio et ensuite, on s’est réunis pour le clip et ça a finalement été le plus beau moment. On était tous ensemble, on délire, on est tous ensemble, ça chante dans tous les sens et c’était un pur moment de partage et de discussion. On a pu discuter de plusieurs sujets et c’était important pour moi de le faire.

Musicfeelings : le titre est clairement inspiré par “Pregnant” de R.Kelly, qui est l’une de tes plus grandes inspirations. On l’entend beaucoup quand tu chantes. N’as pas tu eu trop peur qu’il soit pas assez radiophonique?

M.H. : je ne suis pas sur ça dans cet album. Je ne voulais pas qu’il soit formaté. J’ai fait cet album comme je le ressentais. Si un titre devait durer 10 minutes, il dure 10 minutes. S’il devait durer 6 minutes, il dure 6 minutes, je ne me suis pas posé ce genre de questions.

Musicfeelings : Quelle est la principale différence entre cet album et Racines?

M.H. : Racines est formaté. Il y a des singles dessus. Il a été travaillé dans cet optique-là. Il y a quelques titres qui se sont faits de manière spontanée, comme “Positif” qui s’est fait un peu par hasard, mais c’était un album assez calculé avec un format de chansons court pour rentrer dans les playlists.  Des titres de 3 minutes ou 3.15 minutes qui pouvaient rentrer en radio et plaire à un public plus jeune.  “Porte Mon Gosse”ne peut pas parler à un mec de 18 ans par exemple.

Musicfeelings : En effet, c’est un titre très R&B dans sa structure, mais pourquoi avoir fait ce choix de revenir au R&B alors que tu t’étais quelque peu éparpillé ces dernières années?

M.H. : Un manque, premièrement, des choses à dire, ensuite, parce que je pense qu’il y a des choses qu’on peut dire sur certaines musiques et sur d’autres non. Je pense que le R&B offre la possibilité de parler de vrais thèmes parce que les rythmes sont plus lents et te permettent d’aborder des thèmes mélancoliques ou plus profonds. Ensuite, j’ai vu beaucoup de retours de fans me demandant de revenir  au son de “R&B 2 Rue”. Après, je ne pourrai jamais faire un autre R&B 2 Rue, c’est impossible, mais..

Musicfeelings : Pourquoi c’est impossible?

M.H. :  Tu ne feras jamais la même musique que tu as fait 15 ans avant. Aujourd’hui, quand j’ouvre ma fenêtre, je ne vois pas du tout la même chose que je voyais à l’époque. Les choses ont changé donc je ne peux plus écrire de la même manière. Cependant, avoir une âme R&B et faire des slowjams qui peuvent rapeller certains de mes meilleurs titres comme “Absorbe mes pensées”, c’était l’idée de cet album.

Musicfeelings : D’ailleurs, en parlant de “Absorbe mes pensées”, c’est une chanson de l’opus “Chant de bataille” qui selon toi a été incompris. Pourquoi?

M.H. : Parce que je suis un artiste qui va à gauche quand tu lui dis d’aller à droite. On attendait d’autres singles et moi j’avais envie de faire de la musique. Je retournais beaucoup en Guadeloupe, la musique que j’écoutais n’était déjà plus la même. Je voulais faire un mélange de R&B et de dancehall et ce n’était pas du tout le format de l’époque. Il y avait un titre “Miss” qui était plus ouvert et a été le single de l’opus, mais c’est vrai que tout le reste a été incompris et très mal reçu à l’époque alors que c’est un des albums dans lequel je me suis le plus impliqué. J’y ai mis du coeur et, avec le temps, les choses changent, et, finalement, c’est un album qui a bien sorti son épingle du jeu.

Musicfeelings : Mais, de toutes façons, l’opus a fait plus de 100.000 à l’époque donc ce n’était pas un échec total; cependant, penses-tu que l’arrivée de Matt Pokora a eu un impact sur ta carrière?

M.H. : Il a pris le même nom donc ça ne pouvait qu’avoir un impact. On n’était pas beaucoup sur la scène R&B à l’époque et quand on n’est pas beaucoup et que tu en as 2 qui portent le même nom, ça ne peut être que compliqué à un moment donné. Je ne m’appelais pas Matt Houston à l’époque mais que Matt donc j’ai fait les choses de sorte que ça change. Il a sa carrière, je la respecte, et on n’a plus du tout le même positionnement. Après je n’oublie pas que nous sommes en France, je suis noir, il est blanc. Il vient d’une télé-réalité et moi je viens des quartiers. On n’a pas la même éducation et pas la même manière de fonctionner. Il était très image et moi je suis plus musique, un rat de laboratoire, toujours en studio. Je n’ai rien contre M.Pokora, que dalle. On n’est plus du tout sur ces soucis-là, mais je n’oublie pas qu’on en France.

Musicfeelings : Mais il n’était pas non plus très R&B, Pokora, il restait quand même très pop-urbain, voire pop tout court, mais pas vraiment R&B.

M.H. : À l’époque là, son album était quand même R&B.

Musicfeelings : Pas vraiment, à la limite pour le public français, mais il n’a jamais fait un album de R&B.

M.H. : Tu vois, je comprends ce que tu veux dire mais justement nous sommes en France. Quand tu mets une casquette de côte ét que tu fais 3 pas de danse,  c’est compliqué pour le public de venir dire que ce n’est pas du R&B.

Musicfeelings : Donc c’est le public le problème.

M.H. : ou ceux qui diffusent, les médias.. moi je ne suis sûr de rien. J’ai senti ça et aujourd’hui je sens encore que quand un artiste blanc sort et quand un artiste noir sort, ça n’a pas du tout le même impact. Booba le dit souvent. Je ne le dis pas de manière raciste, mais quand tu as un rappeur blanc qui arrive, il n’a, par exemple, pas du tout la même exposition que les rappeurs noirs. C’est un simple constat, je suis très tolérant mais je ne pense pas que ce pays le soit.

Musicfeelings : Et au vu de ce système, que penses-tu de la scène R&B en France?

M.H.: C’est hyper dur mais il y a beaucoup de chanteurs. Beaucoup de belles choses qui se font, mais on est dans une passe compliquée; il faut faire renaitre quelque chose avec de nouvelles couleurs. Aux U.S.A., on a The Weeknd qui a fait un travail fabuleux pour faire revivre le genre et fait evoluer les choses à sa sauce, mais ça a été très bien donc on pourrait s’en inspirer.

Musicfeelings : Donc tu préconiserais une stratégie à la The Weeknd?

M.H. : Pas forcément The Weeknd, mais prendre cet exemple-là parce qu’il y a des choses à en tirer.

Musicfeelings : Il y a des nouveaux artistes R&B français que tu recommandes?

M.H.: Euh Nadd qui est là et qui n’est pas très connu. Il chante très bien et a un vrai univers. Et après, il y a Freddy, je l’ai signé à 16 ans. C’était dur de le promouvoir car il était mineur,  mais je le suis toujours,  on s’entend toujours aussi bien et il est vraiment talentueux. Il a un timbre spécifique et certains avec qui je m’entends plus que d’autres.

matthouston

Musicfeelings : Jaloux est, selon moi, un des titres les plus efficaces de “Libra”. Penses-tu en faire un single?

M.H.: Ah “Jaloux”, non, je pense pas que je le clipperai mais je ferai un bon court-metrage pour “Euthanasie”. Je trouve que “Jaloux” est très aguicheur, très efficace mais trop pour le concept de cet album.

Musicfeelings : Donc, il y aura d’autres singles que tu n’essaieras pas de faire rentrer en radio. C’est bien ça? Tout sera basé sur tes fans?

M.H. : Oui, c’est bien ça. Oui, il y a le clip de “Dieu créa la femme” qui sort, quelque chose de très intimiste, mais si quelque chose rentre en radio, ce ne sera pas ma faute.

Musicfeelings : Très bien, mais si tu fais ça, tu continueras vers le R&B ou alors tu t’aventuras encore vers d’autres choses?

M.H. : Tu as tout dit. J’ai toujours besoin d’aller vers d’autres choses: je suis un éternel curieux. J’irai encore dans d’autres styles où on ne m’attendra pas tout en parlant de choses que j’ai déjà dans mon ordinateur. Là, c’est une parenthèse. J’aurais pu en faire juste un single, j’en ai fait un album mais je continuerai de changer.

Musicfeelings : À une époque, tu a bossé avec Ophelie Winter, mais on n’a jamais pu écouter le résultat de vos collaborations, pourquoi ça?

M.H. : Ophelie est difficile à tenir en studio. Elle a du talent, de très bonnes idées mais difficile à tenir en studio.  C’est difficile pour elle de finir les choses. C’est pourquoi on n’a jamais été au bout de ce qu’on avait fait; je l’apprécie toujours autant, elle est cool, elle est sympa mais ça reste une question de priorité. Moi la musique, c’est ma priorité.

Musicfeelings : Donc pas possibilité de duo, un jour?

M.H.: Si, bien sûr, vu qu’on s’entend bien si, un jour, on réussit à finir des choses, c’est possible, mais là, pour le moment, j’ai des chansons dans mon ordi, mais elles ne sont pas finalisées.

MusicFeelings: Quel est le dernier très bon album de R&B que tu as écouté?

M.H.: “Black Roses” de Tyrese et Jodeci “The Past, the Present, The Future”  et .. ah aussi le dernier The Weeknd, même si je ne suis pas sûr qu’on puisse le classer R&B, il est dans une ambiance.

MusicFeelings : L’opus de The Weeknd est quand même plus pop, moins R&B que les mixtapes.

M.H. : TOTALEMENT, mais c’est bien qu’il ait passé la seconde. Il a enfilé 3 tapes, il lui fallait ça pour toucher plus de monde, je le comprends.

MusicFeelings:  Curieux que tu cites l’opus de Jodeci, ils n’ont pas été très bien reçu. Récemment encore, Bobby Valentino disait être déçu par ce projet qui est quand même loin des 3 premiers.

M.H. : Il y a des chansons que je trouve forcées, mais il y a de très bons titres. C’est un album qu’il faut écouter sans comparer à ce qu’ils ont fait avant. Il faut avoir du recul. Devante fait toujours des prods monumentales et c’est toujours mon idole.

MusicFeelings : Tu dis avoir un duo avec SWV qui n’est jamais sorti. Pourquoi ça? Comment peut-on faire une chanson avec SWV et ne jamais la sortir?

M.H.: Moi-même je me pose la question. Ce n’était pas pour mon projet mais pour celui de Patrice Anot qui était le producteur de Vibe à l’époque. On était tous partis à New-York et j’avais fait un titre avec SWV et Vibe un titre avec un autre chanteur américain mais, au final, ce n’est jamais sorti.

MusicFeelings : Tu n’as pas essayé de récupérer les bandes?

M.H.: Si, mais c’est compliqué parce qu’il vit en Afrique.

MusicFeelings: Avec quel artiste aimerais-tu collaborer, hormis R.Kelly?

M.H.: Teddy Ridley, mais pas pour un duo, pour une production.

MusicFeelings: Il sera à Paris dans quelques jours, comptes-tu aller le voir?

M.H.: Je ne suis pas très concert, je l’ai déja vu une fois mais, cette fois-ci, je n’y serai pas. Je vais rarement en concert.

MusicFeelings: Peux-tu me citer les 5 meilleurs titres de ta carrière, selon toi?

M.H. : Je vais en choisir un par album. “Je tuerais le mâle”, pour le premier, “R&b 2 rue”, pour le second. Pour le 3ème, “Music” ou “Absorbe mes pensées”, les 2 vont ensemble. Ce sont les plus beaux slow-jam que j’ai pu faire. Pour Phoenix, je dirais… je sais pas, je préfère passer.

MusicFeelings : Tu l’aimes beaucoup moins cet opus non?

M.H. : C’est un album que j’ai fait juste pour quitter Barclay. J’avais déjà les chansons donc je l’ai donné et c’était une mauvaise période pour moi. Divorce, remise en question, tout partait en couilles donc je l’ai fait avec moins d’amour que les autres, donc on fera sans “Phoenix”. Ensuite, dans “Papa est back”, il y en a plusieurs. “Plastique”, parce qu’il y a un vrai thème, et pour être plus “sex” parce qu’on fait du R&B “Cuni”, et aussi un “Homme Fort”. Sur “Racines”, “Jamais sans mon fils”.

MusicFeelings : Sur le premier titre de l’album “Libra”, tu reproches à certains rappeurs de s’être perdus et de maintenant chanter avec l’autotune alors qu’ils crachaient sur le R&B quand tu sortais “R&B 2 Rue”.

M.H. : Moi je dis la même chose depuis 10 ans, les rappeurs ne doivent pas oublier d’où ils viennent. À un moment donné, personne ne t’empêche de faire un titre avec autotune mais tout un album comme ça, ça m’est incompréhensible. C’était compliqué de se faire respecter à l’époque et aujourd’hui, ils essaient de faire comme nous, mais ils ne nous respectent toujours pas. Ils ne nous appellent  toujours pas pour des refrains alors qu’ils savent qu’on le chantera mieux et qu’on l’amènera plus loin qu’eux mais ils ne nous appellent pas. Pourquoi là bas Drake appelle Trey Songz? Pourquoi T-Pain appelle R.Kelly ou Cee-Lo?

matth

MusicFeelings : C’est un souci de culture, certainement.

M.H.: Je ne pense pas, je pense que les jeunes, aujourd’hui, ne font plus la différence entre un chanteur et ce qu’ils font aujourd’hui avec l’autotune. Aujourd’hui, chanter normalement n’est plus normal. Quand les gens entendent quelqu’un sans autotune, ça leur parait curieux et ça c’est un problème. Il y a des gens qui savent très bien faire les 2, ils chantent et rappent très bien, mais trop d’autotune, ça tue l’idée de base. Le rap est une musique militante et aujourd’hui les textes sont creux, il n’y a plus de message, tu as presque 40 ans et tu es encore à dire “wesh bitch”, rien à dire de mieux pour la jeunesse actuelle. Les mêmes qui voulaient pas se formater avant sont entrain de faire exactement ce qu’ils voulaient pas faire, ce n’est pas normal.

Musicfeelings : Je vais te donner 5 noms et tu vas me donner l’artiste dont tu te sens le plus proche. D’habitude, on fait filles, puis garçons, mais comme on a déjà la réponse pour les garçons, je ne ferais que les filles pour toi. Beyonce, Mary J Blige, Brandy, Erykah Badu et Rihanna, de qui te snes tu le plus proche?

MH :  Mary J Blige, très clairement.

Musicfeelings : Chez les garçons, R.Kelly surement, mais si tu étais une année musicale, laquelle, ce serait?

MH : 1995-1996, parce qu’il y a eu un transfert entre la newjack swing et le rnb. Brandy par exemple a été en plein milieu du transfert et j’ai vécu tout ça.  Quand elle a sorti ” I wanna be down”, c’était limite une révolution, tu sentais la transition. J’aime cette période car j’aime les 2. J’aime aussi bien un Joe sur ” I’m In Love” que je vais aimer Joe ensuite sur ” I wanna Know ” ou ” All The Things”.

Musicfeelings : Enfin, Quel album amènerais tu sur une ile déserte?

MH : Bob Marley, ce sera lui car sa vie me touche énormément, même si nous ne sommes pas forcement proches musicalement.

Musifeelings : Merci pour ton temps Matt, et bonne chance pour la suite de ta promo.

Mh: merci à toi aussi, ce fut un plaisir.