Fifteen Years is a long time. Quinze ans, c’est long, voire très long. Il est rare qu’un artiste réussisse à passer le cap des 15 années d’absence surtout quand cet artiste s’en s’est allé en laissant derrière lui ce qu’on peut sûrement considérer comme étant son meilleur travail. D’angelo a fait un pari risqué en sortant sans véritable annonce le manifestement très attendu «Black Messiah» en décembre dernier. Un projet anciennement nommé «James River» et soigneusement mijoté depuis plus de 5ans. L’homme qui aime prendre son temps et aborder les choses sous son seul et unique angle de vue. C’est ce qui a fait son succès, c’est ce qui en a fait le génie et l’icône nu-soul qu’il est devenu, mais c’est curieusement aussi ce qui manque à Black Messiah.
La principale qualité de l’album est sans conteste la direction musicale et la cohérence qui s’en dégage. À aucun moment on a l’impression que D’Angelo et son groupe s’éloignent de la ligne choisie afin de proposer un single plus dans l’air du temps. Tout s’enchaine sans aucun accrocs, c’est fluide et précis sans tomber dans le sensationnel. Le choix des musiciens, déjà présents pour la plupart de Voodoo, l’explique sans doute. On retrouve Questlove à la batterie, Pino Palladino à la basse et surtout Roy Hargrove, dont la patte se fait sentir sur «Betray My Heart». Si les influences demeurent les années 70 comme dans Voodoo, elles sont ici davantage matinées d’influence plus rock. L’illustration la plus savoureuse est sans doute «1000 Deaths», dont la basse de Pino Palladino distordue et la cacophonie rappellent «Helter Skelter» des Beatles avant d’enchainer sur un refrain très funk. «Charade», avec son orchestration pop psychédélique très années 70, ne dépaillerait pas sur Aladin Sane de David Bowie.
La meilleure chanson de l’album est sans doute le Single «Really Love», basé sur un riff de guitare acoustique. Bien qu’ayant déjà été entendu depuis au moins 2010, la version finale, avec des violons, est sans aucun doute la meilleure composition soul de cette année. L’enchainement «Prayer/Betray my heart» voit D’Angelo revenir brièvement à ses racines jazz-soul-Hip Hop. On retrouve avec plaisir les cuivres de Roy Hargrove qui s’insèrent parfaitement dans le break beat, tandis que D’Angelo est plus audible dans cette chanson. Avec Really Love, cela compose la triptyque plutôt soul dans un semble dominé par des sonorités pop psyché, entendues d’ailleurs sur les derniers albums de The Roots. On ressent que Prince reste la principale idole de D’Angelo. À son image, il veut être présent dans toutes les dimensions de l’opus mais c’est une chose que ses capacités vocales ne lui permettent pas forcément. En effet, la prestation vocale est un des points faibles du projet car au milieu et dans la recherche d’une technicité extrême au niveau de l’instrumentalisation, on perd de l’humanité. Déformée par différents effets, doublée et redoublée, elle parait ici comme un instrument parmi d’autres. Les paroles sont peu distinguables, une espèce de bouillie auditive incompréhensible, un comble quand on voit le titre de l’opus. En effet, Black Messiah semblait vouloir ouvrir la porte du projet d’une génération qui se veut critique et à la pointe. C’est d’ailleurs dans cet esprit que les visuels promotionnels ont été conçus, c’est donc regrettable qu’il n’y ait pas eu d’efforts pour que le message des différents titres soit entendu.
C’était une bien jolie idée de sa part de quitter la vibe Hip Hop de «Voodoo» pour s’inscrire dans un son plus 70’s mais on aurait voulu plus d’audace, plus de personnalité. Les influences sont nombreuses: on sent tantôt la touche Prince (Charade), la touche Sly (tout l’album pratiquement), la touche Bowie ici, les influences de Dilla quelque part. Sauf que trop souvent l’hommage étouffe la performance et toute réelle prise de risque. Si la maturation d’un artiste consiste en sa capacité à digérer ses influences et à les dépasser, Michael Archer semble s’être enterré sous sa collection de vinyles. Après Voodoo, où il avait su affirmer une voix particulière, Black Messiah apparaît comme un pas en arrière. Si D’Angelo s’est peut être sauvé lui même en s’extirpant de son statut de sex-symbol, il n’a pas su ré-enchanter la soul comme en 2000. Son insécurité psychologique se reflète ici dans l’amoncellement d’influences, de références soul, rock au détriment des caractéristiques propres à l’artiste. La tryptique Really Love- Betray my heart-Prayer constitue la colonne vertébrale de l’album car on y retrouve un D’Angelo plus brut, moins vintage et ne mimant pas un de ses maitres. Si les autres morceaux demeurent de qualité (Sugah Daddy ou Ain’t Easy), on s’y ennuie cependant car ils donnent l’impression de chutes de Voodoo. Après quatorze ans d’attente, en dépit de la qualité réelle de l’album, on peut être déçu par son manque d’audace, ses proses un peu paresseuses et une certaine dose d’autosatisfaction et d’auto-complaisance. Certes, les concerts et les prestations donnent de toutes nouvelles dimensions à ces chansons, mais D’Angelo peut faire mieux, beaucoup mieux.
15/20.