Common a beau être un nom, ou plutôt un rappeur, qu’on connait plus ou moins bien, il n’a pas enchaîné les tubes. Néanmoins, il a réussi à se créer une fan base solide en enchaînant les succès critiques depuis 1992 avec la sortie de son tout premier album, “Can I Borrow A Dollar“. C’est un garçon qui a quasiment toujours été aux antipodes de l’industrie du disque, tel que tous les autres la conçoivent: il a toujours voulu s’assurer que sa musique porterait un message, une idéologie, des codes aussi bien sociaux que raciaux. Cela lui a couté des tubes mainstream mais lui a également permis de garder une crédibilité, de rester une voix; ainsi, 20ans après ses débuts, bien qu’il n’ait pas enchainé les disques de platines, ses succès critiques lui ont permis d’avoir un respect et une crédibilité hors-norme dans l’industrie du disque. À l’heure où il se voit couronné d’un Golden Globes et d’un oscar pour sa collaboration avec John Legend, “Glory”, qui porte les couleurs du film Selma, racontant l’histoire de Martin Luther King, retour sur la carrière de ce très très grand monsieur du monde du rap.
1.Des débuts difficiles.
Originaire de Chicago, dans l’Illinois, il enregistre son tout premier album avec son producteur et ami de l’époque No I.D, aussi connu sous le nom d’Immenslope, et qui sera le mentor d’autres artistes, comme Kanye West, par la suite. À l’époque, il s’appelle Common Sense et l’opus bénéficiera de 3 singles. Le public américain a cependant du mal à accrocher et il finira sa course à 131.000 ventes. L’album lui permet cependant de se faire remarquer par des magazines de rap comme “The Source”, ce qui l’encourage à continuer. Deux ans plus tard, il propose “Resurrection”, qui sera aussi son dernier album entièrement produit par son ami I.D. L’opus est acclamé par la critique, une fois encore, mais le grand public ne suit pas réellement. Il accuse un démarrage catastrophique dans les charts avec seulement 2000 ventes, mais le bouche-à-oreille ainsi que le fait que l’opus soit souvent cité parmi les classiques du rap par les critiques fait en sorte qu’il finisse par atteindre les 231.000 exemplaires en fin de vie.
2. Beef avec West-side Coast.
La chanson “I Used To Love H.E.R” extraite de son album”Resurrection” lui permet de faire l’expérience de son premier beef avec le groupe West Side Rap Connection. Le groupe ne manque pas de répondre et ça secoue pendant un moment la scène hip hop. C’est aussi à ce moment qu’il devient Common car avant il était connu sous le pseudonyme de Common Sense: un groupe de reggae lui porta plainte pour ce patronyme et gagna le procès, ce qui le força à réduire son nom de scène. C’est une periode très rythmée pour le rappeur mais cela lui permet aussi d’accroitre considérablement sa popularité. Il commence l’enregistrement de son 3ème album, sûrement l’un de ses plus personnels aussi. C’est également à ce moment-là qu’il devient père pour la première fois.
3. Le jour où ça a pris du sens… ou presque.
Lauryn Hill, Q-Tip, Cee-Lo, Erykah Badu, que du très très beau monde sur ce 3e album ” One Day It Will All Make Sense” qui arrive en 1997, 3 ans après son dernier album. L’homme a pris de l’assurance, commence à imposer son nom dans l’industrie et ça se sent. Bien que le projet soit très personnel au niveau des textes et des thèmes abordés, on sent l’envie chez le rappeur de conquérir un plus large public. C’est ce que ses fans de la première heure leur reprocheront, à lui et à son partenaire et producteur NO.ID, qui produit cette fois encore plusieurs de ses titres. Les moyens mis en place sont assez conséquents mais l’opus ne vend pas mieux que son prédécesseur, seulement 250.000 acheteurs. C’est un échec que le rappeur vivra assez mal et qui signera aussi une pause dans la collaboration entre Common et No ID qui ne se retrouveront qu’en 2011.
4. Enfin la reconnaissance dans les charts !
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Il prend son temps pour revenir et se cherche avant de revenir. En 99, il signe pour la première fois sur une Major et change de ville; il va à New-York et se met à enregistrer exclusivement avec un groupe de musiciens Soulquarians dont la figure principale est le producteur et légendaire Questlove. C’est une aventure plus soulful qui commence mais le rappeur ne laisse pas derrière lui ses revendications et thèmes favoris. La preuve avec l’opus “Like Water For Chocolate”, qui arrive en 2000, et devient son premier véritable succès. L’album, jaugé de revendications sociales et idéologiques, permet enfin à l’artiste de joindre son succès critique à un succès commercial. La pochette de l’opus est une image qui ne laissera personne indifférent. C’est la photo d’une jeune fille, prise en 1956, buvant dans une fontaine d’eau avec la signalétique “Colored Only”. Le message est fort et met fabuleusement en exergue le titre de son album “Like Water For Chocolate”, comme de l’eau pour les gens de couleur. Common fait un opus qui repart dans les racines de la culture noire, jusqu’en Afrique vu qu’on a plusieurs titres qui samplent des sonorités africaines; on a un hommage à Fela Kuti mais aussi une sensationnelle diatribe aux côtés des Slum Village “Nag Mama”. D’Angelo et Jaymes Poser l’aideront aussi à polir cet opus qui s’érige, cette année-là, dans tous les classements d’albums, une reconnaissance hors-pair pour un opus qui ne fournira cependant aucun hit mainstream. “The Light” sera le meilleur classement de l’album avec une 44ème place au Billboard… mais cela ne l’empêchera pas de séduire près de 800.000 personnes, une réelle performance dans de telles conditions.
2. Un cirque électrique mal apprécié.
Le succès de “Like Water For Chocolate” porte Common mais d’une certaine manière le dégoûte aussi de la scène hip hop. Avec cet album, “Electric Circus”, il veut faire les choses différemment, du moins porter d’autres influences. Il dira lui-même qu’il était dégouté du rap et voulait autre chose à ce moment; c’est d’ailleurs la toute première fois de sa carrière qu’on le retrouvera entrain de chanter sur un titre (en duo avec Erykah Badu). Electric Circus est cependant mal accueilli par le public. Le premier single, “Come Close”, est curieusement perçu parce qu’il crée un véritable décalage entre les messages portés dans l’opus précédent et l’aspect romantique actuel aux cotés de la chanteuse R&B. Cela reste très soulful dans la forme mais on est en 2002, c’est la formule de la chanteuse et du rappeur; les puristes qui avaient acheté le précédent album boudent, les radios soutiennent sans grand enthousiasme et la chanson ne dépasse finalement pas la 65ème place du hot 100. C’est la première mauvaise marche de cette ère pour Common, mais elle est difficile à rattraper. Il a des soucis avec son label donc l’album n’arrive plus à avoir d’autres singles, la critique le remercie, encore une fois, mais le ghetto, les fans de l’ère précédente, a du mal à se reconnaitre dans le son très éclectique de cet opus qui vogue entre pop, rock et pop funk. Les références tendaient plus vers Jimi Hendrix et les Beatles que les icônes précédemment exploitées. D’ailleurs, la mémorable pochette était un hommage à l’opus “Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band” des Beatles, où on represente ensuite en arrière-plan toutes les personnes qui ont pu collaborer de près ou de loin à l’opus, célébrités, amis ou inspirations. Une idée de génie.. mais un trop gros fossé avec les revendications de son public, surtout qu’il manquait d’une promotion solide. L’album ne séduira pas plus de 290.000 personnes, c’est un nouveau passage à vide pour le rappeur.
Parallèlement, il enregistre avec Erykah Badu, sa petite amie de l’époque, le single “Love Of My Life”. Le titre deviendra un succès (9ème aux U.S.A) qui leur permettra de remporter un Grammy Award, un Soultrain Award ainsi que des Bet Awards et même d’en arriver aux Golden Globes.
5.Le retour du succès aux cotés de Kanye West.
Cependant, ce n’est qu’en 2004 que la carrière de Common prend un nouveau tournant, quand il revoit Kanye West et signe sur le label G.O.O.D Music de ce dernier. Ils travaillent d’abord ensemble sur un titre de l’opus “Colled Dropout” avant que Kanye West ne décide de produire l’opus “Be” de Common, qui signe son retour dans les charts, et lui accorde une nouvelle acclamation des critiques. C’est la première fois de sa carrière qu’il est à la mode: il fait ce qui se fait exactement au moment où cela se fait vu que Kanye est très soclicité et loué par les critiques de toutes parts. L’opus est une nouvelle fois centré sur l’histoire des noirs américains, leurs droits, et il va même jusqu’à dire qu’il est contre les relations interraciales dans certains textes, ce qui entrainera une forte polémique mais ne l’empêchera pas d’être nominé pour 4 Grammy Awards. L’opus séduit près de 850.000 personnes, son opus le plus vendu, son plus gros succès, mais paradoxalement aucun des 5 singles, “Testify”, “The Corner”, “Faith”, “Food” ou encore “Go” n’arrivera à être un succès. Une des raisons reste le fait qu’il avait ce style rap trop old school et moralisateur qui ne correspondaient pas aux playlists. Les gens avaient besoin de choses plus aseptisées, plus pop quand lui a préféré rester sur sa ligne de départ. C’était certes plus ouvert mais ça reste dans un esprit purement hip hop, l’artiste-griot qui chante d’abord parce qu’il n’y a un message que pour la musique.
Après le succès de “Be”, Common reste naturellement aux cotés de Kanye West. En 2007, il nous propose l’album “Finding Forever”, qui est de ses opus les plus ambitieux. Le titre est inspiré par la mort de son ami et collaborateur J.Dilla qui décéda en 2008. Sa mort lui fait prendre conscience du caractère éphémère de la vie et il se met alors en tête, avec cet opus, de faire une musique qui ne viellira jamais, qui ne décèdera jamais, comme ses idoles Bob Marley, Marvin Gaye ou encore Stevie Wonder. C’est une chose qu’on ressent à l’écoute de ce projet qui est définitivement plus soulful avec des collborations de Will.I.Am et de Lilly Allen mais aussi de D’Angelo, qu’il retrouve sur la chanson “So Far To Go”, 7 ans après “Like Water For Chocolate”. Le premier single “The People” est une des chansons les plus appréciées par la critique cette année mais l’opus ne générera, comme ses prédécesseurs, pas de succès singles. Il sera nominé aux Grammys, totalisera 500.000 ventes, mais il n’aura pas l’occasion d’aller au-delà. Cette ère marque la fin de sa collaboration musicale avec Kanye West.
6.L’après West.
En 2008, c’est l’heure du 8ème opus pour le rappeur qui s’allie avec Pharrell Williams, à ce moment-là au creux de la vague. L’album s’intitule “Universal Mind Control“. Un projet qui amorce l’électro dance mainstream sans toutefois tomber dans la facilité. L’opus est clairement plus expérimental mais aussi moins fouillé au niveau des thèmes abordés. La cohérence est moins évidente et la critique est moins enthousiaste, même s’il est nominé pour un Grammy Award (il perdra face à Relapse d’Eminem). L’album ne marquera pas son temps et tous les singles passeront inaperçus, y compris le premier extrait “Announcement“, aux cotés de Pharrell Williams. L’opus totalise seulement 211.000 ventes, le fossé entre le son plus old school et la variante plus expérimentale de ce projet se fait sentir et laisse beaucoup de fans de la première heure sur le carreau.
7.Le retour aux côtés de No I.D.
À ce moment-là, Common décida de prendre son temps pour revenir; il annonça plusieurs retours, essaya de retourner vers Kanye West mais, finalement, en 2011, c’est avec No I.D. que son nouveau projet musical se concrétisa. Il fit un retour aux sources avec l’homme derrière ses premiers albums. Finalement, West ne sera pas de la partie, ce qui n’empêchera pas Common d’enregistrer “The Dreamer/The Believer” qui est son dernier opus sur le label G.O.O.D Music. Le premier single est un bijou qui montre aussi qu’il a compris la réception et la réticence de la rue par rapport à son dernier album. Il fait appel au rappeur qui lui ressemble sûrement le plus, Nas, pour un single purement street et dans la pure tradition du hip hop: il s’agit du terrible “Ghetto Dreams“. La chanson n’est pas un succès radio mais n’est de toutes façons pas conçue pour. C’était un moyen pour lui de rappeler aux puristes qu’il revient aux sources. La communication autour du projet est cependant assez caduque dans son ensemble.
Il se lance dans un clash avec Drake à partir de la chanson “Sweat”. Le titre est une critique ouverte du rap trop sentimentale et “soft” du rappeur canadien. C’est un peu la rebellion de la old school qui ne comprend pas la mise en lumière de Drake en tant que grand acteur du rap alors qu’il chante et ne prend jamais de position. Il balance “Singing all around me man, la la la/You ain’t mutha—-ing Frank Sinatra” (tu chantes partout autour de moi etc.;lalala, putain tu n’es pas Frank Sinatra). L’histoire prendra une certaine ampleur mais ça ne sera pas un réel affrontement vu que, quelques années plus tard, ils se rabibocheront et Common avouera que c’était aussi lié à leurs histoires personnelles avec Serena Williams. Toujours est-il que le bilan de cette ère est moyen car, malgré la qualité du disque et les différentes prises de position, il n’arrive pas à fédérer autour de son idéologie et de ses principes qui sont pourtant partagés par une grande partie de l’opinion. Un dilemme.
Un album avant-gardiste et conscient : Nobody’s smiling.
Ceci étant, les échecs commerciaux n’éreintent pas les principes du rappeur. Il croit en l’activisme pour les droits de sa communauté et continuent de militer avant de proposer un opus visionnaire en 2014 “Nobody’s Smiling“. Là encore, c’est un album réellement avant-gardiste qui va conditionner les événements politiques et réels qui vont se passer dans les mois suivants sa sortie. Le titre “Personne ne sourit” fait référence à l’ambiance morose de sa ville natale, “Chicago“. Il y décrit le contexte dans lequel y vit la communauté noire, les violences et la tension permanente qu’on ressent dans la ville. Un contexte social difficile près de l’exposition (selon son analyse au moment de la sortie) et qu’il met souvent en parallèle avec ses propres souvenirs d’adolescents. L’opus n’est clairement pas commercial mais a une vraie portée humaine, voire humanitaire. Les singles “Kingdom”, “Speak My piece” ou encore “Diamonds” ne sont pas diffusés dans les radios, et moins de 40.000 personnes achètent l’opus qui passe un peu inaperçu. Cependant, la critique le félicite une fois encore et l’album a une vraie dimension nationale et un certain avant-gardisme pour l’ensemble de la communauté afro-américaine aux U.S.A.. Quelques mois seulement après la sortie de l’album, des émeutes éclatent à Baltimore, où règne ce climat lourd et pesant dénoncé par Common quelques mois seulement auparavant.
Les Oscars et un positionnement exceptionnel.
Si les charts ne lui ont pas rendu justice, la rue s’est chargée de le faire vu qu’il participe au film “Selma” juste après. Le film revient sur l’histoire de Martin Luther King, l’histoire de la communauté afro-américaine, le racisme; ces thèmes qu’il n’a cessé de porter tout au long de ses 20 ans de carrière. Il se retrouve donc face à l’histoire, face à son histoire et ne rate pas le coche. Dans le film, il incarne James Bevel, un des chefs du mouvement afro-américain des droits civiques à l’époque. Une prestation remarquée mais c’est surtout grâce à la chanson Glory avec John Legend qu’il remporte le gros lot. Le titre rafle tout: Oscar, Golden Globe, Academy Award, Critics’ Choice Movie Awards 2015, Grammy Award.. On le voit partout; il explose littéralement aux yeux du public mainstream et c’est une première pour un rappeur du genre. Le succès commercial n’est toujours pas au rendez- vous (la chanson n’est que 49ème aux U.S.A), ce qui montre qu’il existe toujours un frein entre l’activisme et la reconnaissance du grand public qui ne veut pas réfléchir. Il veut écouter des chansons pour s’amuser et s’arrêter là. C’est la chose qui fait en sorte qu’il n’est pas et ne sera certainement jamais un des meilleurs vendeurs de l’industrie. Cependant, les multiples récompenses de Glory pour ce film montrent qu’il a eu raison d’insister et de rester droit dans ses idéaux. Il n’a jamais eu les chiffres d’un rappeur comme Nelly; ils ont des démarches musicales diamétralement opposées et Nelly a vendu des tonnes de disques à ses débuts mais Common a toujours plus de reconnaissance que ce dernier. C’est quelqu’un qui a cru en ce qu’il faisait, en la manière dont il voulait le faire et qui, par la force des choses, a réussi à avoir la reconnaissance qu’il mérite.