The Weeknd y est. Le crooner canadien, qui s’est fait repéré il y a quelques années, a complètement changé, aussi bien dans sa direction commerciale que dans sa carrière. Après le flop de Kissland, qui amorçait un tournant mainstream, beaucoup ne donnaient pas cher de sa peau; les radios n’étaient pas très enthousiastes à l’idée de soutenir le titre « Often » et le lancement de l’opus avec des chansons comme King of the Fall était assez poussif, voire carrément tortueux. Il a fallu qu’Ariana Grande fasse appel à lui pour que les choses décollent. Enfin, plus exactement, Republic Records, le label des deux artistes, les a réunis sur une production de Max Martin « Love Me Harder » qui lui a ouvert les portes du public mainstream et qui a permis à des gens d’entendre enfin ce garçon qu’ils ne connaissaient pour la plupart pas, ou alors juste de nom. La “mainstreamination” du chanteur s’est ensuite accélérée avec le single pour la bande originale du film 50 Shades of Grey, qui faisait le pont entre son son de base et une lignée pop clairement assumée qui a plu au plus grand nombre. La chanson, aidée par la situation controversée du film dans les médias, a totalement cartonné. Bingo pour le label qui passait par des moyens « annexes » pour essayer de lui faire changer son nom. En effet, ils se sont d’abord dit « mettons-le sur un featuring » pour voir comment les gens réagissent. Si ça ne marche pas, c’est pas grave, c’est pas sa chanson. Puis « mettons-le sur une bande originale »… si ça ne marche pas, que le public pop n’accroche pas, pareil, pas de grands risques. On dirait qu’il a fait une chanson qui s’accordait au thème du film, mais qui ne représente en rien le son de sa carrière à lui. Ils se sont protégés .. et vu que ça a très bien marché pour lui, ils ont balancé la bombe mainstream « I Can Feel My Face » en faisant venir Max Martin, qui produit des tubes pour toutes les pop stars de l’industrie du disque. La hype autour du chanteur étant à son comble, la chanson ne pouvait que faire un très bon démarrage.. mais là où tout a encore été une fois parfaitement pensé, c’est dans le fait de ne pas abandonner son premier public vu que tout juste après, il nous balance « The Hills » qui aurait tout à fait pu se trouver sur sa première trilogie. Son équipe a travaillé de sorte qu’il soit vendu avec un son cross-cover pop, pop, ils ont verrouillé tous les schémas avec succès et ça ne pouvait donner lieu qu’au carton commercial qu’on connait.
Il fait un des meilleurs démarrages de l’année aux U.S.A avec plus de 325.000 ventes en première semaine, un score qui va jusqu’aux 420.000 ventes quand on y ajoute les chiffres du streaming.
Il y a quelques années, on se demandait qui de Frank Ocean, The Weeknd, ou Miguel exploserait en premier auprès du grand public américain; nous étions en 2012 et les 3 chanteurs avaient un certain succès, chacun à sa façon. Lui, il vendait très bien sa trilogie de mixtape ressortie en album. Frank Ocean buzzait du fait de la qualité de son album, mais aussi grâce à ses révélations sexuelles et Miguel, lui, était finalement le mieux placé avec le hit mainstream “Adorn”, qui a porté un opus qui a fini aux 500.000 exemplaires. À cette époque, on n’aurait pas misé sur The Weeknd pour être celui qui allait avoir la plus grande exposition: il avait le son le moins accessible radiophoniquement et ses débuts scéniques (prestations télé) étaient mitigés. C’est donc d’une part un véritable tour de force marketing qui le mène là où il est actuellement mais aussi le parti pris d’un son plus lisse, bien plus lisse.
The Beauty behind The madness.
En effet, si Abel connait actuellement un gros succès et qu’on est content pour lui, on ne peut nier que la candeur et le charme un peu mystérieux de ses débuts ont pris la porte de sortie. C’est d’une part totalement logique. Il a commencé en tant chanteur complétement reclus, inconnu du public, et refusait même de se montrer. Les supputations sur sa personnalité ont duré longtemps. D’aucuns ont même d’ailleurs cru que c’était un groupe, avant qu’il ne finisse par apparaitre et c’est aussi à ce moment là que la magie a un peu disparu. Les lives étaient moyens, les influences ont commencé à se diluer et finalement dans cet album, le fossé est si grand qu’on ne peut même plus réellement dire que c’est tout à fait le même artiste. C’est la même personne, on reconnait encore sa présence, sa sensibilité sur des chansons comme sur “Tell Your Friends” ou le bien connu “Often” (dont la présence fait d’ailleurs chaud au cœur) mais dans l’ensemble, c’est un mix de R&B et de pop résolument lisse et ce jusque dans le choix des featurings très calculés. Lana Del Rey intervient sur “Prisoner” pour le public un peu indé hype, Labrinth, c’est pour retrouver la crédibilité et Ed sheeran est là pour la raisonnance mainstream.. sans toutefois le faire en portant de gros sabots. Les collaborations sont rarement marquantes, Labrinth est clairement celui qui excelle le plus dans “Losers” quand Lana se veut timide sur “Prisoners” et Ed un peu effacé dans “Dark Times”. Une chanson qui fait pourtant partie des plus beaux moments de ce projet. Un projet donc très convenu, pas désagréable, mais qui entend rassembler tout le monde. Le The Weeknd d’hier n’est clairement plus le The Weeknd d’aujourd’hui. Une fois encore, c’est la même personne, mais ce n’est plus du tout le même artiste. Quand on écoute ses premiers titres, on aurait encore une fois jamais pu imaginer qu’il arriverait à un son finalement si convenu. Shameless est suffisamment éfficace pour être l’un des plus gros hits de cet album, aux côtés de In The Night. Aquainted a lui les capacités de séduire le public urbain, même si elle reprend exactement les même ingredients que ” Often” au niveau de mélodie et de la ligne de chant. Un opus qui n’est pas mauvais, mais manque de sincérité et de subtilité. Il est fait pour ratisser large, très large au point d’en devenir un poil fade, et même les singeries de Michael Jackson, balancées par-ci, par là n’arrivent pas à nous défaire de cette impression.
13/20.